The Others, Silent Hill, Monstres et fantômes

Monstres et fantômes, Dir. Stéphane Dompierre

J’avais environ 11 ans quand j’ai regardé mon premier film de fantômes. The Others avait passé à la télé et le fait que ce soit classé 13 ans et plus n’avait embêté personne, ni moi, ni mes parents. J’avais suivi les péripéties de Nicole Kidman et des enfants avec beaucoup d’intérêt. J’aimais le fait qu’ils soient cloîtrés dans une grande maison, victimes de forces invisibles, prisonniers d’un secret qu’ils ne comprenaient pas. J’aimais faire le saut, m’inquiéter de l’air louche des trois domestiques et tout découvrir en même temps que les personnages. Je ne me posais pas de questions sur l’intrigue; je la suivais avec une avidité nouvelle. Un film n’avait encore jamais fait une aussi grande impression sur moi.

À l’Halloween suivant, j’étais allée au club vidéo avec mon père. Je voulais regarder un nouveau film «qui fait peur» pour l’occasion. Notre choix s’était arrêté sur Silent Hill, un autre film impliquant un enfant. Sauf que cette fois, j’ai eu la peur de ma vie. La petite fille qui coure dans la ville abandonnée, trop vite, trop floue, échappant toujours à sa mère adoptive et au cinéphile. Les monstres qui surgissent au bruit de la sirène des pompiers. Les lieux normaux et sécurisants pervertis: l’école, l’hôtel, l’hôpital. Les deux morts ultra-violentes. La fin qui n’est pas totalement positive. Je l’ai réécouté récemment sur Netflix. Je ne sais pas si mon souvenir altère ma perception du film, ou si c’est vraiment l’un des plus épeurants que j’ai jamais regardés. Encore aujourd’hui, quand j’entre dans des toilettes publiques vides, je choisis la première cabine près de la porte et je me dépêche de me laver les mains et d’en sortir. À cause de ce film.

Mais ça ne m’a pas empêchée de redemander un film d’horreur à chaque Halloween. Et ça ne m’empêche pas d’en regarder fréquemment aujourd’hui, sans occasion particulière, juste parce que j’en ai envie. Je suis presque autant fan de films d’horreur que de chick flicks. Je sais, c’est un peu contradictoire.

Lire l’horreur

Alors quand le recueil de nouvelles Monstres et fantômes est arrivé sur les tablettes des librairies, environ un mois avant Halloween, j’étais emballée. À part la quasi-entièreté des Frissons et Chair de poule de R. L. Stine et quelques Stephen King, je n’ai pas lu beaucoup d’horreur. Pourtant, je trouve que c’est un genre intéressant à mettre sur papier. On dirait que les mots vivent d’une façon différente quand il s’agit d’horreur, qu’ils font appel à une autre forme d’imagination que les œuvres des autres genres. Qu’ils doivent absolument susciter une image, ou se résoudre à l’échec, parce que le traumatisme de l’horreur relève d’abord de la vue.

L’image. C’est pour cette raison, principalement, que j’ai amené mon exemplaire à la séance de lectures des nouvelles, à la librairie L’Euguélionne, jeudi dernier. Bien que j’étais très curieuse de rencontrer les autrices (je dis «autrices», je pense que c’est le terme qu’on utilise maintenant; l’éditeur ayant dirigé le collectif, Stéphane Dompierre, a même admis avoir mis «auteures» sur la couverture pour la rime «15 auteures, 15 nouvelles d’horreur», ce que j’ai trouvé plutôt amusant), car on entend rarement parler d’autrices dans ce genre littéraire, j’avais envie de me concentrer sur les mots, sur l’effet de leur lecture sur les images qui se généraient dans ma tête, plutôt que sur la couleur des cheveux, l’expression faciale ou les vêtements de l’autrice de la nouvelle au micro. (Même si Maude Nepveu-Villeneuve avait pris soin de porter un chandail portant la citation «Nolite te bastardes carborundorum» tirée du roman The Handmaid’s Tale, son histoire d’horreur-pas-classée-horreur préférée.) J’avais envie d’entendre ce que les femmes avaient à dire lorsqu’on leur donnait une voix, qu’on les invitait à écrire l’horreur, mais je n’avais pas envie de me concentrer sur le fait qu’elle soit des femmes. Une bonne histoire est une bonne histoire, peu importe qui l’écrit. Et, en termes de bonnes histoires, on peut dire que ce soir-là, j’ai été servie.

Déroulement de la soirée

Les autrices étaient invitées à lire une partie de leur nouvelle, qu’elles découpaient comme elles le souhaitaient. Certaines ont choisi de faire un collage de paragraphes provenant de divers moments de leur récit, pour en faire un résumé qui se tenait, alors que d’autres sélectionnaient un passage qui donnait le ton de la nouvelle, ou qui était particulièrement violent. J’ai adoré entendre leur voix prononcer les mots. Le ton poétique de Laurence Gough, le souci maternel de Geneviève Jannelle, l’humour discret de Maude Nepveu-Villeneuve, la colère de Jade Bérubé, toutes sont restées dans ma mémoire alors que je rentrais chez moi enfiler un pyjama et lire les nouvelles dans leur intégralité.

Je n’aborderai pas toutes les nouvelles, parce que mon billet deviendrait encore plus long que celui sur Royal de Jean-Philippe Baril Guérard, alors entendons-nous pour quelques mots et un extrait de mes quatre préférées.

1. Les renégates, Jade Bérubé

Avoir ou non des enfants. C’est une question qui m’intéresse depuis plus d’un an, depuis que j’ai appris que mon copain n’en voulait pas. Qui me travaille parce que je suis dans la vingtaine, parce que j’ai atteint l’âge auquel ma mère m’a eue, que j’ai l’impression de devoir faire mes choix de vie d’adulte maintenant. Qui m’inquiète parce que je ne suis plus sûre de rien, parce que je dis que non, je n’en aurai pas, puis que j’aime serrer les bébés de mes cousins contre moi des après-midis durant. Et c’est la question à laquelle s’attaque Jade Bérubé dans ce texte mettant en scène une femme qui reçoit son amie et la petite fille de cette dernière, amie qui lui dit de ne surtout pas enfanter, présentant la maternité et les pulsions féminines qui y conduisent comme la vraie histoire d’horreur contemporaine.

Je sais pas pourquoi on fait tant de cas d’Iphigénie, l’enfant sacrifiée pour que le vent revienne souffler sur Athènes dans les tragédies grecques. La maternité, ça, c’est la vraie affaire tragique. C’est la mort de la femme pour la survie de l’espèce. Si Euripide avait été une femme, il aurait pas tué Iphigénie dans sa pièce, il aurait fait hurler de dépit sa mère pendant les trois actes, câlisse.

(p.293)

Peut-être parce que le sujet me rejoignait, peut-être parce que la colère exprimée d’un seul souffle était si bien rendue, ou peut-être parce qu’on y fait référence à «la poudre à fesse, la nursery anglaise, avec des petits rubans de velours bleus […], la morale implacable de Pierre Lapin, pis les petites débarbouillettes ajourées et roulées en pile» (p.291), mais c’était de loin ma préférée.

2. Et le mal, et la mère, Geneviève Jannelle

Je vous ai dit que j’aimais les histoires de fantômes! Après que Maude ait découvert l’infidélité de son amoureux des dix dernières années et qu’il l’ait quittée pour sa maîtresse, elle prend un nouvel appartement et invite son amie à l’aider à déménager. Cette amie propose de jouer à Ouija pour se faire des peurs, comme lorsqu’elles étaient adolescentes, mais COMME DANS TOUS LES FILMS D’HORREUR, elles oublient de dire «Good Bye». Ce qui devait arriver arriva, l’esprit d’une «méchante madame», pour reprendre les mots d’Albert, trois ans, fils de Maude, s’accrochera au monde des vivants pour…ouais, pas mal juste le pire.

M…

A…

M…

A…

N…

D…

E…

L…

E…

A…

U…

Les deux femmes levèrent les yeux pour se regarder, perplexes. Au même moment, de légers pleurs se firent entendre dans la chambre d’Albert. Se désintéressant du jeu, Maude se déplia péniblement pour aller voir son fils.

Elle revint deux minutes plus tard, les yeux ronds.

– Quoi? Qu’est-ce qu’il y a?

– Il voulait de l’eau.

(p.105)

J’ai beaucoup aimé le contexte de la séparation qui se vit difficilement, les doutes du père quant aux blessures de son fils, l’amour de la mère pour son enfant qui la pousse à agir comme elle le fait. S’il y a bien une nouvelle dont je voulais absolument connaître la fin au plus vite, c’était celle-là!

3. Love Will Tear Us Apart, Marie Demers

Je connaissais déjà Marie Demers pour avoir lu et adoré In Between, son premier roman. Elle était l’une des autrices qui m’intéressaient le plus dans ce recueil de nouvelles et j’avais hâte de la lire à nouveau. Sa nouvelle allie deux terreurs assez répandues: se réveiller pendant une opération sans que l’équipe médicale s’en rende compte et en ressentir toute la souffrance, et s’apercevoir que la personne qui partage notre vie nous ment depuis très longtemps. «Love Will Tear Us Apart», c’est Jacques, chirurgien plastique d’une soixantaine d’années qui opère sa femme Hélène, au tournant de la quarantaine, qui cherche à effacer les traces de l’âge et de la grossesse sur son corps. Mais Hélène n’avait pas pensé que Jacques pouvait connaître ses petits secrets, et elle n’avait pas pris en compte la jeune inhalothérapeute avec qui il travaillait…

– Tu te demandes ce qui se passe, ma chérie? Tu te dis : mais pourquoi je peux pas bouger? Pourquoi j’ai les yeux ouverts? Pourquoi j’ai si mal?

[…]

– On t’a curarisée, ma belle. Tu es paralysée. C’est pour nous aider à mieux faire notre travail. Et pour que tu comprennes ce qui se passe. Tu connais le dicton, hein? Il faut souffrir pour être belle!

(p.88-89)

J’avais des frissons. On dirait que c’est pire quand c’est une personne qu’on aime qui devient violent envers nous, que lorsqu’il s’agit d’un inconnu avec des troubles mentaux qui nous prend pour cible. La vengeance, c’est beaucoup plus personnel.

4. Le chat noir et autres contes, Maude Nepveu-Villeneuve

Je ne sais pas pour vous, mais les grands espaces dans lesquels je me retrouve seule m’effraient. C’est en partie pourquoi, en prenant la décision d’habiter seule (avec mon chat), je me suis lancée à la recherche du plus petit appartement possible. Un loft, sans murs pour obstruer ma vue. Si j’entendais un bruit suspect ou si je me sentais observée, je voulais pouvoir faire le tour de mon appartement en un seul coup d’œil rassurant. Mais quant est-il lorsqu’on enseigne dans un cégep, tard le soir? C’est le cas du personnage principal de cette nouvelle qui doit passer de sa classe à son bureau après ses cours, puis descendre sept étages avant d’atteindre la sortie. Et encore, si ce n’était que ça…mais elle devient l’objet d’un admirateur qui juge bon de lui laisser des cadeaux à la fin de chacun de ses cours. Des cadeaux pour le moins épeurants.

Là où je m’attendais à trouver une lettre maladroite mais touchante de naïveté, il n’y a qu’une petite pile de photos. Des photos de moi, prises dans le cégep avec un appareil instantané. Moi dans l’entrée, vue de haut. Moi dans les escaliers roulants, de dos. […] Je reconnais les vêtements que je portais vendredi, mais aussi, sur quelques-unes, la robe que je porte en ce moment. Mon visage se décompose. […] Tout ça ne m’amuse plus tellement.

(p.188)

Ce que j’ai préféré de cette nouvelle, c’est la montée dramatique. Habituellement, les nouvelles sont trop courtes pour être divisées en parties. Ici, on donne l’idée du temps qui passe en ponctuant le récit par l’identification des jours de cours du personnage principal. Et chaque jour se termine par la découverte du nouveau cadeau. J’ai aussi beaucoup aimé les références au monde étudiant; les pages Spotted, les poèmes obligatoires (le maudit Lac de Lamartine) et les sandwiches aux emballages en plastique biodégradable «ceux qui font tellement de bruit qu’on est obligés d’arrêter le cours chaque fois que quelqu’un déballe son lunch» (p.182). À l’université, en assemblée générale, on devait demander un tour de parole pour ça.

Mention spéciale

Si j’avais une mention spéciale à décerner (ou que j’étirais mon article encore pour faire un top 5 plutôt qu’un top 4), ce serait à «Let Me Out Now» de Mikella Nicol, qui aborde un sujet terriblement d’actualité: les télé-réalités. Et si j’avais un commentaire général à écrire, pour soulever un point qui ressort plus que les autres, je pense que je parlerais de la fin des nouvelles: on n’explique rien. Peut-être à cause du genre même de la nouvelle, qui se caractérise par une chute finale, peut-être par envie de faire changement du style des films d’horreur, les fins sont abruptes et l’horreur ne se conclue pas. Les méchants ne sont pas punis, les personnages principaux ne retrouvent pas leur quiétude et leur santé mentale. Les situations surviennent dans une vie normale qui ne le sera jamais plus.

Je me doute que vous vous dites que l’Halloween est derrière nous, que Noël est à nos portes et que la pertinence d’un recueil de nouvelles d’horreur (et/ou d’un billet de blogue à ce sujet) à ce moment de l’année peut être discutée. Mais ce qui ressort de ces nouvelles, ce ne sont pas les histoires de fantômes et de monstres surnaturels: c’est que l’horreur chez les femmes naît souvent de situations de la vie courante. S’acheter une maison, voir sa famille mourir ou être blessée, vivre une séparation amoureuse, enseigner un cours du soir, prendre un Amigo Express, se louer un chalet. Et le fait que l’intrigue de ces nouvelles reste si proche des lecteurs est très intéressant, peu importe la période de l’année.

De la même manière que les chick flicks / la chick lit ne sont pas relégués à la St-Valentin, ce recueil de nouvelles n’a pas à être lu uniquement à l’Halloween. Et si c’est vraiment l’esprit de Noël qui vous embête, j’invoque Black Christmas (aussi mauvais et cliché le remake soit-il) comme preuve cinématographique de ce que j’avance. 😉

Dompierre, Stéphane (dir.). Monstres et fantômes. Québec Amérique: Montréal. 352 p.

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